mardi 28 octobre 2014

Aura-t-on enfin la peau du père noël ou du « devenir tous artistes » auxquels la modernité nous condamne ?


Peu après la crise financière de 2008, on avait pu dire que la bulle spéculative de l’art contemporain n’y résisterait pas.




L’artiste aurait pu donc continuer à se distancer du mode de production capitaliste et même le dénoncer, mais sans continuer à lui-même en profiter démesurément en contribuant et en s’asservissant ainsi à son développement.


Occasion illusoire si l’on en croit par exemple cette estimation d’Artprice précisant que depuis dix ans le marché de l’art n’a pas cessé sa vertigineuse progression pour atteindre ce chiffre impressionnant de 1 000 %.



 On ne s’étonnera donc d’abord pas trop après le scandale si bien orchestré de l’exposition Jeff Koons à Versailles, en 2008, qui aurait pu être le chant du cygne, qu’aujourd’hui on puisse assister à un nouveau scandale ou spectacle, place Vendôme.


Mais là.. nous dit-on encore il s’agirait bien cette fois ci d’un « tournant historique », sinon d’une révolution, comme le constate ou l’espère un journaliste de Marianne très en verve, Eric Conan dans l'article du Dimanche 26 octobre 2014 intitulé : Le "plug anal" de McCarthy place Vendôme : un accident industriel ?  


Dans notre affaire, si l’on ne s’en tient pas qu’à l’arbre ou au « toy » qui cache la forêt ou le « sexe » de l’art, il s’agit bien du « Nom du Père » Noël comme « Chocolate Factory »...

 Chocolate Factory pour citer et ne pas oublier de questionner le titre même de l'installation du dit Paul Mc Carthy invité à transposer sa folle fabrique, déjà expérimenté en 2007 à la galerie Maccarone de New York, dans la flamboyante Salle baroque Guillaume Dupré de la Monnaie de Paris à l'occasion de sa réouverture, tout en fanfare, en tant qu'espace d'exposition artistique.







Qu'entendre donc par "Chocolate" ? 


D'abord un premier oubli lié à notre "fabrique occidentale" (Pierre Legendre) du SIGNE ou de la valeur étalon OR (Gold Standard) comme équivalent général ou "Phallus flottant" par l'effacement de l'efficacité symbolique du sacré. 


Un gain de pouvoir technique : l'essence de la modernité gagnée par le vol prométhéen de cette matière alimentaire, arrachée au Nouveau Monde, pour devenir le signifiant désacralisé d'une consommation de masse. 


Alors que sous forme de boisson, elle servait autant de monnaie d'échange que de symbolisation rituelle du sang humain


Dans l’article en question on ne voit plutôt que l’arbre déjà abattu de l’ « accident industriel » dont il devient le totem auquel l’un des grands sorciers ou critique officiel de l’art contemporain ne croirait plus lui-même. A savoir Philippe Dagen, cumulant les titres de Professeur d’histoire de l’art à la Sorbonne et de chroniqueur au Monde depuis 1985.

Son désaveu, adressé aux organisateurs de la Fiac et au comité des marchands de Vendôme pour avoir choisi ce spécialiste des « provocations pornographiques et scatologiques », prouverait qu'une telle erreur ou "provocation de trop" serait bien en passe de mettre enfin à nu les ressorts du système économique de l’art contemporain :

une coterie de riches, de critiques et de fonctionnaires de la Culture s’accaparant l’espace public pour décréter « œuvres » des signes qui servent de plus en plus la rente financière et sa défiscalisation massive. Un secteur en plein essor. »


Pour ma part, je doute que ce désaveu qui finirait par rejoindre les craintes de Jean Clair ou la dénonciation de la "précession des simulacres" par le prophète néo platonicien Baudrillard, soit le réel tournant ou réveil historique de l’art, depuis son essor correspondant à celui de la modernité.

Il y a quatre ans, Jean clair, ancien directeur du Musée Picasso, conservateur du patrimoine et nouvellement élu Académicien, pouvait bien déjà partir en guerre "Contre l'art des traders" ou du pouvoir des apparences dont le comble serait de ne même plus prendre le masque de la vérité ou de son voilement (Le Monde, 2010.04.10).

"Jeff Koons est devenu l'artiste le plus cher du monde. La mutation s'est faite à l'occasion des transformations d'un marché de l'art qui (...) est aujourd'hui un mécanisme de haute spéculation financière entre deux ou trois galeries, une maison de ventes et un petit public de nouveaux riches. Koons ne se présente plus échevelé comme les romantiques, moins encore nu et ensanglanté comme les avant-gardistes des années 1970, mais comme un trader, attaché-case à la main et rasé de frais".


L'article, quant à lui échevelé d'Eric Conan, ne fait que prolonger ce soupçon que l'apparence n'ait rien d'autre à cacher que son propre vide maintenant exhibé et  revendiqué, mais il formule à l'occasion ce paradoxe clef, qui à mon sens n’est rien de moins que celui au fondement  même de l’individu contemporain :

« l’artiste est en fait plus créé qu’il ne crée. »



Néanmoins ce paradoxe n'est malheureusement pas creusé.. parce que plutôt que de questionner patiemment ses présupposés,  il se limite à évoquer le système bien connu qui le manifeste ou l’entretien : l’association des fonctionnaires de la culture, des commissaires d’exposition, de l’Etat et du mécénat privé, des marchands et des collectionneurs qui font la valeur de l’œuvre en désignant ou faisant par là même l’artiste.


Comme s’il suffisait que la mèche soit vendue par ce vrai-faux naïf de Koons pour que puisse enfin s'ouvrir à nous le chemin vers la vérité ou la beauté, en tant que justice ou Bien souverain... 





« Comme toutes les impostures en bande organisée, cet art d’initiés additionne les risques. D’abord ceux que représentent les grands enfants que sont ces nouveaux artistes.
Ils peuvent vendre la mèche comme l’avait fait un jour Jeff Koons : « Mon œuvre n’a aucune valeur esthétique… Le marché est le meilleur critique ! »




Ne faut-il pas garder soi-même une part d’enfance en pensant qu’il suffit de révéler aux « non-initiés » qu’il n’y a pas d’initiation ou pas d’autres secrets au fondement de la valeur que celle de l’institution pour que le prestige ou le pouvoir des faux semblants finissent par tomber.

 Que « l’acte artistique ne réside plus dans la fabrication de l’objet, mais dans sa conception, dans les discours qui l’accompagnent, les réactions qu’il suscite » comme le répète la sociologue française Nathalie Heinich, après les célèbres philosophes américains Nelson Goodman (1908-1998) ou Arthur Danto (1924-2013) ne change rien à la force de cet effet de langage dont les sophistes avaient depuis la naissance même de la philosophie ou de la démocratie pris la mesure, sinon la démesure, pour l’utiliser à leur propre compte et nouvel intérêt privé.

Ce qu’il faudrait ce n’est pas dénoncer la force du simulacre mais interroger le régime de leur précession depuis la révolution de la modernité, qui ne fait depuis qu’organiser la guerre ou la concurrence entre ces idoles qui ne vivent précisément que de cette évolution ou adaptation darwinienne.

Dommage que ce titre éloquent "l'accident industriel" se réduit à ironiser sur le "pas" arrière de Philippe d'Agen qui serait un tournant historique.. alors que c’est précisément de ses propres effets de distanciation ou d’ironie que se nourrit précisément l’histoire de l’art ou du nihilisme moderne.

Ainsi Philippe Dagen dans "Les nouveaux mécènes de l'art contemporain, Le Monde du 22.10.2014 

 " McCarthy étant renommé pour ses provocations pornographiques et scatologiques. L’une de ses pièces les plus connues est sa sculptureTrain, Pig Island (2007). Quiconque a visité la vénitienne Punta della Dogana quand la Fondation Pinault y a inauguré ses salles en 2009 connaît Train, Pig Island, file de figures masculines grotesques, mutilées, hydrocéphales, chacune occupée à sodomiser avec une bouteille celle qui la précède. La présence de ce groupe monumental avait alors surpris, d’autant que Fucking Hell, de Jake et Dinos Chapman, se trouvait à proximité des dioramas, eux aussi démesurés, détaillant d’épouvantables scènes de supplices sexuelles..."

L'art comme l’histoire ou l’industrie capitaliste de l’accumulation de la valeur ou des signes, ne vit-il pas précisément de ses propres accidents ou crises ?

N’est-ce pas comme cela que peut, par essence et paradoxalement, s’organiser à la fois la surproduction et la pénurie, la richesse et la pauvreté, la paix et la guerre, sinon le manque ou le désir.. jusqu'à l'épuisement ?


Avec Paul McCarthy, exposé pour la réouverture de la Monnaie de Paris jusqu’au 4 janvier 2015… cette variation ou prolifération industrielle, plutôt qu'artisanale de ces nouvelles images (de) "machines célibataires" n’est certes pas une révolte crédible de l'individu contre le marché, et son illusoire esprit populaire de Noël…


Pour le marché comme pour le père noël, ce  n’est pas parce que nous n’y croyons plus ou n’y avons jamais cru que nous y jouons plus bien au contraire…  

Après l’avènement de la modernité, à la Renaissance, le Baroque a bien pu déjà jouer le spectacle contre le spectacle.. et sa naïveté, peut-être alors vraie innocence, c’était de croire à la possibilité d’un hors cadre par-delà cette mise en abîme.


La naïveté moderne de montrer les coulisses du spectacle n’a plus rien de « vrai » ou d’ « innocence ».. c’est  juste continuer le spectacle ou en faire partie par tous les moyens possibles..


Quand le monde comme le théâtre se démultiplie, devenir le théâtre du théâtre, en tant que galerie, c’est se faire une place comme « contre espace » dans un multivers de contre-espaces qui sont autant de lieux de productions et de contre productions de valeurs et de rôles possibles…



Et cette démultiplication croissante de bulles-miroirs ou mondes… dans l’abandon toujours plus grand d’un espace stable d’échange ou de communauté possible…

n’est-ce pas là cette perte ou cette nostalgie qui donne l’un des sens possible du Noël moderne avec son simulacre du don et du père fondateur ?



N’est-ce pas cela la vrai-fausse innocence ou révélation des « grands enfants », sinon des « artistes » dans la peau ou les simulacres desquels nous sommes condamnés à ne pas cesser de renaître en tant qu’individu moderne ?

Site de l'exposition : 

http://art.monnaiedeparis.fr/fr/expositions/chocolate-factory


samedi 18 octobre 2014

Transcription intégrale du débat de Ce soir (ou jamais !) daté du 10 octobre 2014 autour des livres respectifs de Jacques Attali, François Dubet et Eric Zemmour


‪#‎CSOJ‬ @FredericTaddei - Augmentation des inégalités ? Crise des solidarités ? Fin du modèle social français ?
(Liberté ? Egalité ? Fraternité ?) :


 Frédéric Taddeï : Jacques Attali, vous partez en guerre dans votre livre contre ceux que vous appelez les "résignés réclamant". Et contre un populisme paternaliste, sécuritaire et xénophobe... Qui sont-ils ?


 Jacques Attali : Ils s'inscrivent dans une bataille idéologique qui n'est plus celle du XIXe et du XXe siècle entre libéralisme et sociale-démocratie.

 Dans un monde où l'Etat est de moins en moins puissant, continuer à renoncer à choisir sa vie et réclamer les miettes de ce qui ne vous appartient pas... Cela s'inscrit dans l'idéologie de la peur des autres, des étrangers, des femmes, des juifs, des musulmans...


 Et finalement la peur de soi-même. Cela se traduit inévitablement par une idéologie de "puisque j'ai peur, je me replie sur moi, je fais l'apologie de la pureté, donc de la purification". On retrouve cela dans les extrémismes et les fondamentalistes de toute nature. 

Face à cela, l'autre idéologie, celle que j'essaye de montrer comme celle qui porte l'avenir, de manière extraordinairement optimiste, c'est l'idéologie du RESPECT de soi-même, des femmes, des juifs, des musulmans, des autres... 

Se respecter c'est vouloir réussir sa vie, ce qui conduit à la bienveillance, à l'empathie au courage, à la volonté de faire et de SE TROUVER SOI-MÊME. On ne peut réussir sa vie, sans altruisme..


 C'est tout ce que montre les TECHNOLOGIES MODERNES, la réussite suppose le partage, l'empathie, l'OUVERTURE AU MONDE.


 Un exemple concret: j'étais avant-hier à Mulhouse dans un des bureaux de l'organisation que je préside (PlaNET Finance) pour coacher des jeunes.


 J'ai vu des jeunes à qui on a juste tendu la main et donné la chance de réussir leur métier. Je me souviens d'un gamin venant de Tunisie devenu prof de plongée sous-marine, est maintenant artiste photographe. Il passe aussi une partie de son temps à aider les autres du quartier à s'épanouir et à réussir leur vie.


 C'est cela, le grand changement. Il faut ne pas avoir peur de soi-même, avoir une grande ambition pour soi-même et naît alors naturellement une solidarité, un altruisme pour les autres. 

DEVENIR SOI c'est Créer un SOI qui ne soit pas seulement une nostalgie du passé, un retour sur les frontières, une fermeture sur soi.. comme si l'on une fois rentré dans un club où l'on a été content que la porte s'ouvre on était pressé de la refermer..

Une nation n'est forte que si elle a envie de devenir elle-même et elle ne peut devenir elle-même qu'en accueillant les autres, en considérant le métissage comme positif, en s'inventant en permanence.


 - F. TaddeT : Eric Zemmour?


 Éric Zemmour : J'ai écouté l'homélie du père Attali, je suis encore un peu ébloui... Il y a les méchants et les gentils! Les vilains qui veulent la pureté, la purification, quasiment le nazisme! Et puis il y a les gentils qui sont bienveillants, altruistes...

 C'est beau, sauf que cela n'existe pas! Et surtout, cela fait fi de ce que l'on est.


 Non pas ce que l'on devient Mr Attali  mais ce l'on est. 

Auguste Comte disait: "Les morts gouvernent les vivants". Raymond Aron ajoutait: "L'histoire est tragique". Cela, vous l'oubliez.

Car vous parlez pour un homme HORS SOL qui passe sa vie dans les aéroports.. mais cela n'existe pas à part pour vous mr Attali.


 Il y a des gens qui sont là...
qui sont Là depuis 1.000 ans et qui ont envie d'être là encore 1.000 ans, et qui n'ont pas envie d'être métissés.

 Excusez-les! Ils n'ont pas envie d'être submergés, remplacés... C'est con, c'est bas et pas tellement altruiste mais c'est leur vie.

 Et ils n'ont pas envie que Monsieur Attali, le "père", vienne leur dire que ce sont des nuls, des médiocres, des racistes, des xénophobes, des non bienveillants...


 Jacques Attali : Vous êtes très exactement dans le discours de ce que je disais tout à l'heure...

 Éric Zemmour : Je sais que c'est à moi que vous parliez, je ne suis pas complètement débile !

 Jacques Attali : Je parlais au public, ne soyez pas narcissique à ce point-là... Vous faites partie de ceux qui considèrent qu'en effet, une fois admis dans un club, il est bon d'en fermer la porte pour que les autres n'y soient pas. Cela, c'est insupportable.

 Éric Zemmour : La France n'est pas un club, c'est une nation millénaire !

 Jacques Attali : C'est vous qui le traitez ainsi !

 Éric Zemmour : Non, on s'agrège au peuple français ou on ne s'agrège pas, mais ce n'est pas un club c'est une nation ! 

 Jacques Attali : C'est déjà c'est plus ouvert :)

 Éric Zemmour : Mais c'est vous qui caricaturez ! Simplement vous le savez.. car vous avez lu RENAN comme moi !  Pour devenir membre d'une NATION, il faut hériter et il faut transmettre cet héritage... 

 Jacques Attali : Mais non ne faut pas hériter, il faut transmettre.. et transmettre des choses nouvelles qu'on apporte... L'héritage peut ou doit aussi venir d'ailleurs. 

La France porte le nom d'un peuple qui n'était pas français. Normalement, c'étaient les Gaulois... Les Francs sont des envahisseurs, et c'est vrai pour tous les peuples européens. Les Anglais portent le nom d'un peuple venu d'Allemagne, les Russes viennent d'un peuple venu de Scandinavie... 

Toutes les nations sont faites de mélanges. Un héritage trop petit devient dérisoire...

 Éric Zemmour : Vous trouvez que l'héritage de la France est trop petit Mr Attali ?

 Jacques Attali : L'héritage que vous décrivez est minuscule...

 Éric Zemmour : Se sentir français, cela veut dire prendre l'arbre généalogique des Français !

 Jacques Attali : Nous ne parlons pas du même discours, ce n'est pas le sujet !

 Dans l'idéologie d'aujourd'hui, c'est: "Va-t-on s'enfermer dans un discours fermé sur ce que l'on est en étant simplement l'héritier de quelque chose ?

 Ou va-t-on se demander si on a l'occasion de faire de sa vie quelque chose de différent des autres ?

 D'apporter au MONDE quelque chose qui nous soit PROPRE ?

 Tout ce qui se passe aujourd'hui dans le monde nous donne cette chance.

 Aujourd'hui, dans le monde entier, il y a des gens très pauvres qui ne cherchent pas à obtenir un emploi mais qui le créent, qui parviennent à faire leur vie. Je le vois concrètement tous les jours dans tous les pays où je me promène. C'est une réalité !

 Éric Zemmour : Monsieur Attali, un peuple a le droit de vouloir

 Jacques Attali : Je ne parle pas d'UN PEUPLE, je parle DES GENS...

 Éric Zemmour : Moi, je ne parle pas de GENS HORS SOL !

 Vous croyez qu'un INDIVIDU EN VAUT UN AUTRE...

 Jacques Attali : Tout individu est différent de l'autre et a besoin de se réaliser.

 Respecter les autres, ce n'est pas les confondre en une masse informe !

 Frédéric Taddeï : On a bien compris ce qui vous sépare, on va ouvrir le débat...

 Cynthia Fleury?

Cynthia Fleury : La NATION est faite de réel, de symbolique et d'imaginaire, pour paraphraser LACAN.

 Ce n'est PAS SIMPLEMENT LE SOL.

 C'est aussi le RÊVE, le partage qu'on essaie de créer ensemble.

 La réalité du sentiment des INDIVIDUS face à la MONDIALISATION...

 Des chiffres qui sont surréalistes...

 Prenons quelque chose de plus local, regardons ce qui se passe aux Etats-Unis : le décile supérieur détient 90% de la richesse nationale.

 En Allemagne, qu'on dresse aux nues, le coût social de la réforme qui a créé une déflagration sociale en Allemagne est délirant... Au Royaume-Uni, cinq familles détiennent la richesse de 12 millions de personnes...

 C'est cela, la vérité de la mondialisation, une pauvreté dont le seuil a baissé et des inégalités qui ont explosé.

 Il y a un consensus de la part des économistes sur cette question. Le FMI lui-même appelle l'Europe à arrêter l'austérité, on en rirait presque! Nous sommes revenus à un seuil d'inégalité qui est celui de 1910.

 A côté de cela, je crois qu'il y a aussi des insularités, et même des îlots d'innovation qui sont déjà en place. Vous avez aujourd'hui une cartographie possible des alternatives. Avant, on savait que cela existait mais on ne savait pas où.

 Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, si vous voulez essayer de changer votre vie, vous pouvez identifier votre N+1.

 On est à l'aube de cela.

 En vérité, vous avez des vies qui sont en déflagration totale. La précarisation des statuts, des compétences, des métiers, tout est bouleversé.

 Je suis optimiste, comme Churchill, on va dire... C'est un devoir.

 Donc, allons sur l'insularité, je fais ce pari là. Pour celui qui veut tenter l'aventure existentielle, c'est possible.

 Frédéric Taddeï : Clémentine Autain va nous rejoindre, co-directrice du magazine "Regards", vous êtes l'auteur de plusieurs livres dont le dernier s'intitule "Le Retour du peuple". Le prochain paraîtra en janvier janvier sous le titre "Nous avons raison d'espérer".

 Philippe Nemo : On a commencé sur les chapeaux de roue avec cette querelle Attali-Zemmour... Je suis assez charmé car en fait, je suis d'accord avec les deux!

 Il est vrai que la France est le fruit d'une longue histoire dans laquelle il y a eu beaucoup d'apports étrangers. Mais vivre ensemble est la chose la plus difficile du monde.

 Comment peut-on progresser par rapport à la guerre du tous contre tous?

 Par l'apprentissage lent de certaines règles de juste conduite, qui se mettent en place par des millions d'essais et d'erreurs sur de très nombreuses années. Quand on arrive à déterminer ces règles, les unes morales et les autres juridiques, on arrive à une société à peu près harmonieuse. Alors, quand arrivent en masse des gens allogènes, ils rompent cette harmonie.

 Le problème n'est pas du tout ou rien...

 Jacques Attali : C'est le discours qu'on a entendu au moment de l'arrivée des Italiens, des Polonais, des juifs, des musulmans, qui sont aujourd'hui une immense richesse pour la France, qui apportent énormément...

 Philippe Nemo : Alors, bienvenue au club libéral !

 Jacques Attali : Je suis très fier de l'héritage social-démocrate qui est le vrai porteur du libéralisme politique, alors que le libéralisme économique en est la destruction !

 Philippe Nemo : Je voudrais terminer mon propos... J'oscille entre deux idoles !

Eric Zemmour a dit qu'il y avait des Français qui ne voulaient pas être métissés, et qui éprouvaient une peur...

 Toute peur n'est pas mauvaise en soi, elle fait partie de la nature humaine. J'observe que la famille politique actuellement au pouvoir a voulu donner le droit de vote aux étrangers mais que les Français n'ont jamais eu le droit de voter sur l'arrivée des étrangers. Cela ne vous a jamais frappé ?

 Jacques Attali : Le seul pays qui refuse l'arrivée des étrangers s'appelle la Corée du Nord !

 Éric Zemmour : Ce n'est pas vrai, le Japon a très peu d'immigrés !

 Jacques Attali : Mais le Japon est une île !

 Éric Zemmour : L'Angleterre aussi !

 Jacques Attali : Mais l'Angleterre est une île ouverte au monde depuis toujours. Le Japon est en train de se suicider démographiquement.

 Éric Zemmour : Il y a des suicides par la démographie différents ! Il y a suicide aussi quand une population est remplacée par une autre.

 Jacques Attali : C'est le XVIIIe siècle au XXe siècle qui a conduit à la purification ethnique, dont les Espagnols se sont portés les premiers maîtres au XVe siècle, avec l'inquisition!

 Clémentine Autain : Pardonnez-moi, j'ai pris un peu en route mais je constate qu'une des forces du discours de l'extrême droite, relayée ici sur ce plateau...
 Philippe Nemo : Par qui? C'est une accusation absurde!

 Clémentine Autain : Ce n'est pas une accusation

 Philippe Nemo : Qui est d'extrême droite ?

 Clémentine Autain : Je pense que Monsieur Zemmour relaye parfaitement les idées de l'extrême droite.

 Sa force, c'est justement de déplacer dans le débat public la question de l'égalité, notamment la question sociale qui se pose très fortement dans notre pays.

 Comme l'a dit très bien Cynthia Fleury, il y a une explosion de la précarité, des inégalités, il y a un délitement du lien social et une projection républicaine en panne. Nous avons un débat qui est polarisé sur un ennemi de l'intérieur, qui seraient les musulmans, et qui polarisent à l'extrême les questions. Et quand nous abordons les enjeux concernant les territoires populaires, au lieu de parler des inégalités de développement territorial, au lieu d'opposer l'ouvrier blanc aux jeunes immigrés en disant que l'un serait invisible tandis que l'autre aurait trop de soutien public, on ne se rend pas compte qu'il y a quelque chose qui devrait souder à la fois cet ouvrier blanc des milieux populaires et ces jeunes issus de l'immigration...

 Ce dont nous avons besoin, ce ne sont pas des solutions de repli, des solutions réactionnaires pour revenir à un temps ancien, mais au contraire de se projeter dans une société qui permette de renouer avec les valeurs historiques fondamentales qui ont fait la richesse de la dynamique française, à savoir l'égalité et la liberté. On a beaucoup de travail!

 Je ne suis ni libérale sur le plan économique, ni pour le contrôle

 Jacques Attali : Je suis pour le libéralisme politique !

 Clémentine Autain : On vous connaît aussi sur le terrain du libéralisme économique... Il me semble avoir entendu il n'y a pas longtemps dire que vous pensiez qu'on avait trop de pouvoir d'achat, par exemple ?

 Jacques Attali : Je ne vois pas de quoi vous parlez.

 Clémentine Autain : Je veux juste dire que dans les conditions de la liberté, il y a la possibilité d'avoir un toit, de manger a sa faim, d'avoir accès à l'éducation et à la culture, à la santé...

 Tout ceci permet ensuite à un individu de pouvoir être libre.

 La liberté passe par ces conditions. Or aujourd'hui en France, il y a une régression de ce point de vue-là. Quand vous avez 3,5 millions de personnes en France qui sont mal logées, quand il y a 1 million de personnes qui vont aux Restos du Cœur, quand un tiers des Français renoncent ou reculent l'accès aux soins parce qu'ils n'en ont pas les moyens, vous voyez bien que les conditions dé la libérté et dé l'égalité ne sont pas respectées. Par ailleurs, le libéralisme économique est contraire à l'épanouissement de la liberté. Nous sommes dans un monde où il faut sans cesse être rivé sur la consommation de tout et de n'importe quoi, cela n'a plus de sens. C'est pour cela qu'il faut changer le modèle de développement, non pas en reprenant les recettes de

 Philippe Nemo : Alors, recréons la Corée du Nord !

 Éric Zemmour : Décidément, c'est la soirée de la Corée du Nord...

 Clémentine Autain : Je ne parle pas de cela. Vous savez qu'il y a tout un panel de possibilités, y compris des choses qui n'ont pas encore été inventées ! Je sais que Michel Sapin nous a expliqué quelque chose qui est passé totalement inaperçu...

 Il a dit: "Il vaut mieux vouloir ce qui est qu'espérer ce qui ne sera pas". C'est vraiment là où en sont le gouvernement et le PS aujourd'hui, dans les clous de la normalité !

 Frédéric Taddeï : François Dubet n'a pas encore parlé...

 Vous dites dans votre livre que les sociétés égalitaires sont les plus vivables et aussi que notre désir d'égalité faiblit de plus en plus...

 La société française est-elle de moins en moins égalitaire ?

 François Dubet : Je risque de dire des choses vaguement ternes, car là, on est dans une forme d'excès des raisonnements...

 Une société égalitaire, cela ne veut pas dire la Corée du Nord! Cela veut dire des inégalités relativement réduites dans lesquelles les 5 ou les 1% ne captent pas la totalité ou la plus grande part des richesses.

 Laissez-moi parler... Ces sociétés sont en général...

 Il y a plus de sécurité, la santé et la civilité sont meilleures... L'égalité, c'est plutôt bien. Mais plutôt que de parler de moral, de la Terre, des morts, il faut voir comment s'est construite pendant 30 ans une société plus égalitaire et plus intégrée.

 Ce n'est pas venu simplement parce que les Français étaient tous des descendants des Gaulois, ce qui n'a probablement jamais été le cas. Cela s'est construit par des processus politiques et institutionnels. Je voudrais rappeler des choses élémentaires :

 on a eu une économie relativement intégrée avec des capacités d'emploi, on a eu des institutions, notamment l'école, qui avaient des capacités de produire quelque chose de commun. Il y avait des récits de la fraternité, en tout cas on a eu un mécanisme social qui a produit dé l'égalité.

 Philippe Nemo : Tout cela était fondé sur la méritocratie, c'est-à-dire pas l'égalité!

 François Dubet : Est-ce que je vous ai dit que l'école était égalitaire ?

 Il faudrait ne pas réagir purement par réflexe !

 Ce que je veux dire, c'est que ces mécanismes sont cassés, de mon point de vue. Les extraits que vous avez passés sont très intéressants. C'est un stock de gens qui se replient, ne veulent plus payer pour les autres, ne plus vivre avec les autres, qui s'intéressent uniquement à leur profession..

 Evidemment, proposer à ces gens-là l'idée qu'on va reconstruire quelque chose comme une solidarité, en ayant un ennemi intérieur, en racontant que c'est la faute aux étrangers, à l'Europe, aux musulmans, etc., c'est évidemment une fable !

 Et une fable dangereuse... Le problème, c'est de savoir si nous avons la capacité collective de refabriquer le minimum de solidarité.

 Il faut redonner aux gens le désir de payer des impôts pour ceux qu'on ne connaît pas. C'est cela, la solidarité! Ce mécanisme s'est cassé et il nous faut aujourd'hui...

 Éric Zemmour : Et on paye encore

 François Dubet : Cela, il nous faut le reconstruire. Je ne suis pas hostile au thème de l'INDIVIDU qui se prend en charge. Mais pour cela, il faut une société qui le soutienne.

 Jacques Attali : On est dans un débat qui est très largement dépassé et qui ne correspond pas à la problématique moderne.

 Je crois que Ie le vrai débat aujourd'hui, c'est entre une société qui fait des gens dés résignés réclamant, qui sont résignés à ne pas choisir leur vie et qui réclament les miettes de ce que la société peut leur offrir.

 Et cela, cela peut se trouver à gauche et à droite, même s'ils ne réclament pas la même chose. Une bonne société, un Etat sérieux et moderne, c'est un Etat qui aidera chacun à réussir sa vie, à choisir ce qu'il a envie d'être et à créer les conditions pour qu'il réalise son rêve. Je citait avant que vous arriviez l'exemple de jeunes qui ont été licenciés dans une entreprise, qui se sont pris en main avec des gens qui les aident, et qui ont créé leur entreprise. Ils sont heureux, ils sont respectés, et ils ont quelque chose qui leur appartient. C'est possible!

 Cynthia citait l'exemple des ONG, de ce qu'elle appelait l'économie positive, de ceux qui travaillent pour les générations futures.

 Il est possible de créer des conditions pour que chacun puisse réussir sa vie, AU LIEU DE SE TOURNER VERS LE PASSÉ PERDU.

 C'est le rôle fondamental d'une société. C'est du côté de la liberté car cela permet aux gens d'être libres, mais c'est aussi du côté de l'égalité, car cela permet à tout le monde d'être libre.

 Frédéric Taddeï : Dans "Le Suicide français", vous faites le récit de tout ce qui s'est passé pendant 40 ans en France.

 On dispose de trop de liberté ou de pas assez de liberté, Eric Zemmour ?

 Éric Zemmour : En fait, les deux à la fois. Mais je voudrais répondre...

 On a TROP D’ÉGALITARISME ET PAS ASSEZ D’ÉGALITÉ

FORMULE qui mériterait de se formuler sous forme de paradoxe pour être problématisé

1) Le "pas assez d'égalité" renvoie à la réalité sociale de l'inégalité..

2) L'"égalitarisme" renvoie à la volonté politique de nos sociétés modernes de poser la priorité de l'individu pensé idéalement ou juridiquement comme l'incarnation ou le représentant d'un même universel sinon d'une même totalité.

D'où le PARADOXE de notre société, inégalitaire de fait, mais qui continue de se vouloir moderne ou progressiste dans son refus de l'inégalité, alors réduite au spectre d'une hiérarchie traditionnelle pré-révolutionnaire sinon primitive. L'égalitarisme ne serait donc qu'un fantasme ou une idéologie de l'égalité liée à l'individualisme comme "vision-du-monde".

QUESTIONS :


Abandonner cette idéologie libérale ou capitaliste fondées sur le "culte de l'individu roi" et de l'"universalisme", est-ce réellement rendre possible une progression de l'égalité dans les faits ?

Cela passe t-il par une éducation "intégratrice", "transformant les AUTRES en MÊMES" au nom de la priorité Républicaine de l'UN comme Nation ?


 Clémentine Autain et Cynthia Fleury ont raison, on est passé à une société hyper inégalitaire depuis une trentaine d'années.

 Mais il faut bien comprendre que c'était au nom du CULTE DE L'INDIVIDU ROI, et au nom d'un UNIVERSALISME qui a permis au CAPITALISME de développer sans frontière des transferts de capitaux, de marchandises et d'hommes.

 L'universalisme de Clémentine Autain, vous ne devriez pas être méchante avec Jacques Attali car vous le rejoignez, finalement, dans son UNIVERSALISME SANS FRONTIÈRE;

 et quand François Dubet parle de l'école des années 50, 60, je suis très content de l'entendre dire qu'elle était bien meilleure que celle d'aujourd'hui. Il va dire que ce n'est pas ce qu'il a dit mais c'est ce que j'ai compris...

 François Dubet : C'est nettement plus facile !

 Éric Zemmour : Mais vous oubliez une chose pourtant évidente : il y avait aussi l'assimilation républicaine. On TRANSFORME LES AUTRES EN MÊMES, et on leur imposait s'il le fallait. Cette règle de l'assimilation républicaine a permis l'intégration de milliers d'étrangers, Monsieur Attali, et elle a été abandonnée par les élites de gauche et de droite au nom de la liberté de l'individu, des racines, etc. Sans cette assimilation républicaine, on ne peut plus supporter la solidarité.

 François Dubet : Excusez-moi... Ce que vous dites n'est pas exact. Je rappelle que l'école française a laquelle j'adresse de très nombreuses critiques reste une école à programmes nationaux, à langue nationale, il n'y a pas d'école communautaire...

 Éric Zemmour : Cela n'a aucun rapport !

 François Dubet : Mais cela ne marche plus car le modèle...

 Frédéric Taddeï : Vous dites que le paradoxe, c'est que plus on est égaux, plus on se sent frères ?

 François Dubet : Evidemment!

 Ce mécanisme que vous décrivez, vous le décrivez uniquement en termes de "les Français" et "les autres"...

 Mais il y a aussi toutes les catégories sociales distinctes et qui se replient... 

Ce n'est pas simplement CULTURE !

 Vous avez aussi des classes moyennes qui ne payent plus, qui sortent leurs gosses de l'école... Vous avez des quartiers qui ont été ghettoïsés est qui vont auto-ghettoïser...

 Jacques Attali : On est dans les fantasmes! L'intégration marche

 Éric Zemmour : DANS QUEL MONDE VOUS VIVEZ ?

 Jacques Attali : Dans le monde que je vois! Je me promène en province...

 Éric Zemmour : Là, les Français vont rigoler !

 Jacques Attali : Vos amis politiques vont rigoler, oui... Je peux citer des centaines de milliers d'exemples de jeunes Français... La jeunesse venant de l'extérieur apporte une richesse nouvelle, un talent nouveau, et plus d'ailleurs les filles que les garçons...

 Bien sûr, il y en a 150.000 qui sortent des écoles sans savoir lire ou écrire, et pas seulement des enfants d'étrangers, cela n'a rien à voir! Mais cette jeunesse qui est en train de réussir, je la vois chaque jour dans les quartiers... Devenir soi, c'est souvent le propre de ceux qui arrivent et qui ont envie de réussir. On les trouve partout, dans tous les pays... Que seraient les Etats-Unis sans les étrangers qui ont créé Google, et d'autres ?

 Éric Zemmour : Mais les Etats-Unis vivent en communauté, séparés! C'est le modèle que vous voulez ? Ce n'est pas ce que veulent les Français !

 Jacques Attali : Vous parlez en leur nom, vous n'en avez aucun droit !

 Éric Zemmour : Sortez des aéroports, Monsieur Attali !

 Jacques Attali : Vous devriez y aller, et dans les gares aussi...

 Éric Zemmour : Vous savez, c'est un pays étonnant la France, ça existe !

 Jacques Attali : Je voudrais parler des choses concrètes que je vois tous les jours...

 Frédéric Taddeï : Si on pouvait ne pas parler simplement de la France et

 Jacques Attali : Le vrai projet d'une bonne société, c'est d'aider chacun d'entre nous à réussir sa vie. Ce n'est pas dans le discours idéologique... Nous avons tous intérêt que les autres réussissent leur vie.

 Ce n'est pas une JUXTAPOSITION 
DE NARCISSISME INDIVIDUALISTE.

 Comme dans une équipe de FOOT, un orchestre, on a intérêt à ce que l'autre joue mieux. La définition du XXIe siècle, ce sera une bonne société. Ce n'est pas le fait de travailler moins mais de travailler différemment, que le fait de travailler ne soit pas considéré comme une aliénation mais comme le fait de réussir.

 Cynthia Fleury : Je voulais juste revenir sur la question de l'égalité, et sur le petit film qui a précédé, où on voyait le président Sarkozy expliquer qu'on s'était séparés de la sélection, de la méritocratie...

 Je voulais revenir sur l'idée des "inégalités juste", en fait.

 Mais la méritocratie est une fiction, sans doute nécessaire... Encore aujourd'hui, on la retrouve dans les petites écoles, et tout au long... Nous avons une structure élitiste qui sélectionne les gens alors qu'ils ne sont même pas au courant des processus et des règles du JEU.

 Ensuite, les libéraux, et je leur rends hommage, ont toujours considéré que les inégalités justes étaient intéressantes à partir du moment où elles bénéficiaient au plus grand nombre.

 C'est-à-dire en gros l'impôt : oui, sur la grande fortune si ensuite, s'il y a une circulation de l'argent...

 Mais aujourd'hui, vous avez une sécession des grandes fortunes, des multinationales.

 Elles ne participent plus à l'impôt !

 Elles jouent à cache-cache pour ne pas être imposées par les pays, alors qu'elles devraient être imposées sur leurs bénéfices globaux surréalistes.

 Vous avez des entreprises privées qui organisent l'évasion fiscale, et vous avez à l'intérieur de l'Europe des paradis fiscaux qui se concurrencent entre eux. De toute façon, la solidarité est en fragment.

 L'article 1, qui est la base de notre Constitution,

 " la République est INDIVISIBLE ", c'est terminé !

 Or, la France ne sait pas être une démocratie sans être UNE République.

 Elle a cette conception très particulière de penser que l'intégration ne peut plus être l'assimilation. Eric Zemmour, je suis désolé...

 Éric Zemmour : C'est le pays qui est désolé car cela va créer des affrontements terribles !

 Cynthia Fleury : Mais je crois que l'intégration n'est pas la seule affaire de ceux qui arrivent, c'est une affaire commune. Nous avons tous l'obligation de nous intégrer à notre société. Et je ne crois pas du tout que l'intégration des Français "de souche" soit plus aisée que l'intégration des immigrés.

 Il nous faut totalement repenser la question de l'intégration.

 Je suis fondamentalement pour l'autorité mais je n'ai jamais assimilé l'autorité a l'autoritarisme.

 L'école a été longtemps autoritariste, elle n'a jamais affronté la vraie question d'une asymétrie qui est en même temps l'égalité.

 Frédéric Taddeï : Il était question là de la sécession des riches et des entreprises... On ne serait plus gouvernés que par l'intérêt... Le pro-libéral que vous êtes réagit comment ?

 Philippe Nemo : Par la négative. Le débat est un peu compliqué car on a des STRUCTURES MENTALES DISPARATES, tous les six...

 Frédéric Taddeï : C'était un peu le but !

 Philippe Nemo : Pour qu'il y ait au moins une petite fraternité provisoire, il nous faudrait un TERRAIN COMMUN.

 Madame a dit qu'il y avait de la précarité, en effet. Quand on prend quelques avions et quand on revient en France, on s'aperçoit que la France s'appauvrit.

 Et vous en tirez un argument pour supprimer le peu de liberté qui reste... Moi qui suis plus âgé que vous, j'ai vu la décadence de la France pendant ma génération, elle a accompagné les progrès de la socialisation de la France.

 La France est en décadence depuis

 Cynthia Fleury : Sur quel plan ?

 Philippe Nemo : A tous égards! Enfin, elle est en difficulté... La France s'affaiblit depuis que les prélèvements obligatoires sont passés de 25% à 50%.

 Pour moi, la cause du malheur humain que vous déplorez à juste titre, en particulier le chômage et la pauvreté dans certains quartiers et dans les campagnes, c'est horrible, mais quelles sociétés sont sorties de cela ?

 Ce n'est pas la Corée du Nord, c'est l'Amérique capitaliste !

 François Dubet : Qui, en termes de pauvreté, a des résultats remarquables !

 Clémentine Autain : Vous plaisantez ? En Amérique, il n'y a pas de travailleurs pauvres ? Pas de précarité ? Pas de chômage ? Le système de santé est protecteur et solidaire? Vous plaisantez !

 Philippe Nemo : Au XIXe siècle, les sociétés ont été régulées par la faim et la mort pour leur démographie.

 Lorsque le capitalisme est apparu et que la productivité de la société a augmenté, elle a utilisé le delta de production supplémentaire non pas pour vivre mieux à population égale mais pour exploser démographiquement.

 Ce qui a changé, c'est la division du travail. Vous dites qu'il y a des pauvres en Amérique, d'accord, mais auparavant, ils ne seraient pas pauvres, ils seraient morts !

 Ou plus exactement, ils ne seraient même pas nés... Citez-moi un seul pays socialiste qui soit riche ?

 Clémentine Autain : Je peux répondre ? Nous ne vivons pas tout à fait sur la même planète mentale.

 Déjà, qu'est-ce que la RICHESSE ?

 Ce serait déjà un débat qui nous mènerait fort loin. Le problème que nous vivons aujourd'hui, c'est aussi le problème généré par le système capitaliste parce que nous produisons plus et pourtant, nous avons structurellement un taux de chômage qui avoisine les 10%.

 Et il correspond à ce que MARX appelait "une armée de réserve" qui sert à créer de la pression sur l'ensemble des salariés.

 Ceux qui ont la "sécurité de l'emploi" ne peuvent plus rien demander... Ce qui progresse en revanche, c'est le poids de la finance sur nos vies. Pendant ce temps-là, le taux de profits augmente et le système devient fou, en bousillant la planète.

 C'est le système lui-même qui produit cela... Le capital cherche à s'accroître, il le fait sur la masse des salariés et il le fait aussi aujourd'hui en produisant des produits de plus en plus obsolètes et en se fichant totalement de la préservation de l'écosystème.

 Cette affaire-là est en bout de souffle et les multinationales se servent sur la bête, n'en ont rien à faire du bien commun et des biens communs. Et c'est bien le politique qui a permis à ces multinationales et à ce creusement des inégalités d'être possibles. S'il n'y a pas de contestation du pouvoir de la finance sur nos vies, de contestation des inégalités...

 Et là, à un moment donné, il va falloir s'attaquer à ce qui concerne l'héritage, les processus à l'école...

 Vous devriez lire "L'Ecole des chances: qu'est-ce qu'une école juste?", de François DUBET (2004) / ici présent

 Philippe Nemo : Il est connu que le taux d'ouvriers à l'école polytechnique n'a pas cessé d'augmenter sur toute la période républicaine, mais il n'a pas cessé de baisser depuis trente ans.

 Clémentine Autain : Mais s'il n'y a pas de sécurité politique pour faire reculer le capital, l'austérité, si ces politiques-là ne sont pas menées avec une transition sociale et écologique fortes alors la panne va être substantielle.

 Par malheur, ce qui domine, c'est la désespérance, l'idée que le politique ne peut plus rien face à cette situation. Nous avons une responsabilité à redonner du souffle, du sens, un imaginaire pour nous projeter dans une société plus forte et plus juste.

 Frédéric Taddeï : Est-ce que c'est aux politiques seuls de faire changer cette société ? Une réponse rapide...

 Jacques Attali : Ma réponse, c'est: "N'attendez rien des politiques".

 Soit on laisse le capitalisme aller au bout, et on assiste à une sorte d'Etat de droit mondial...

 Il n'y aura pas de maîtrise des sujets dont vous parlez si elle n'est pas planétaire. Soit on ne fait pas cela, même pas à l'échelle européenne...

 On trompe le peuple en lui disant qu'on peut faire cela à l'échelle nationale, et c'est la Corée du Nord !

 Moi, je dis qu'il faut se battre pour que l'humanité comprenne qu'elle est unique, qu'elle doit se rassembler sur les grands sujets...

 Mais en même temps, prenons en main notre vie, devenons nous-mêmes, et dans ce cas, on se rend compte comme vous le faites dans votre vie...

 Éric Zemmour : On va les laisser, ils sont faits pour s'entendre !

 Jacques Attali : On a tous ici une passion pour la France. La meilleure façon aujourd'hui de la servir, c'est d'essayer de s'épanouir soi-même. Et pour cela, il faut aider les autres à s'épanouir.




SYNTHÈSE SUPERFICIELLE 
en l'ABSENCE de PROBLÈMATISATION



 Éric Zemmour : Dans les années 70, en URSS, tout allait mal, et le discours, c'était: "On sait que cela va mal mais cela veut dire qu'il faut encore plus de communisme".

 C'est exactement ce que nous a servi Monsieur Attali.

 Tout va mal parce que depuis trente ans, l'Europe a pris le pouvoir, parce qu'il y a plus de mondialisation, mais il faut aller plus loin, il faut un gouvernement mondial !

 J'adore cette fuite en avant...

 Mais pour une fois, j'avais envie de faire une SYNTHÈSE car je trouve que Cynthia Fleury et Philippe Nemo ont raison à la fois.

 Philippe Nemo dit qu'on n'a jamais eu autant de prélèvements obligatoires, de dépenses publiques... Et Cynthia Fleury a raison de rappeler qu'on
 n'a jamais été aussi inégalitaires, on n'a jamais eu autant de grandes sociétés qui payaient aussi peu d'impôts, qui faisaient dissidence...

 Nous avons depuis trente ans un phénomène d'élite mondialisée qui, dans tous les pays, se met en dissidence du reste de son pays. Je reviens à ce que disait François Dubet tout à l'heure...

 Jacques Attali : Épargnez la synthèse avec MOI !

 Éric Zemmour : Il y a des limites à tout !

 Quand François Dubet dit que les classes sociales s'opposent, ne veulent plus être solidaires, il a raison. Mais pourquoi ?

 Parce que depuis 40 ans, 50 ans, on a euthanasié une succession de professions. Les paysans, les petits commerçants tués par les grandes surfaces, et maintenant, au nom de la protection du pouvoir d'achat, on veut s'en prendre aux "nantis", les pharmaciens, les notaires, les taxis...

 Ce sont les grands ennemis de Monsieur Attali, quand il va à l'aéroport, il ne trouve pas un taxi tout de suite et cela l'énerve !

 Alors, il fait un rapport en disant qu'il faut libéraliser les taxis !

 Donc les notaires, les pharmaciens, eux, ils ne veulent pas mourir comme les petits commerçants et les paysans. Donc ils se battent comme des chiens, c'est normal...

 François Dubet : Je voudrais revenir à la question initiale, qui est les politiques... On balance entre deux discours, un qui dit que les lois du capitalisme international sont horribles mais qu'on ne peut pas agir et que la politique ne sert à rien.

 Je reconnais que l'économie mondialisée enlève aux gouvernements une grande part de leur souveraineté. D'une certaine manière, Marx avait prédit ce genre d'histoires. Mais je trouve qu'on est trop peu exigeants vis-à-vis des politiques.

 Si je prends les inégalités scolaires, je ne vois pas ce que la Chine et WaIl Street viennent faire là-dedans !

 Je connais des pays dont l'école est plus efficace et moins inégalitaire que la nôtre, par exemple la Finlande et le Canada... Ils ont su réformer leur système scolaire.

 Là, nous manquons de politiques. Je comprends très bien qu'on ne peut pas demander aux Chinois de faire ce qu'ils n'ont pas envie de faire... Mais il y a beaucoup de problèmes où nous avons des capacités politiques.

 Pourquoi y avons-nous renoncé ? Parce que chaque fois que nous agissons, nous nous heurtons à une société qui explose et où chacun défend son pré carré.

 Chaque fois qu'il y a des tentatives de réformes un peu égalitaires dans l'école par exemple, on se heurte à un blocage immédiat. Nous avons tellement intérêt à ce que nos enfants réussissent mieux que les autres, donc à ce que les autres réussissent moins bien... On a besoin que nos enfants sachent lire et écrire !

 Mais vous avez besoin, vous, que vos enfants fassent polytechnique ! Et cela fait une grande différence !

 Frédéric Taddeï : On a parlé de liberté et d'égalité, je voudrais qu'on parle de fraternité, donc de solidarité... François Dubet parle de crise des solidarités, regardez...


[ Pour la première fois, la dette de la France vient de dépasser la barre symbolique des 2.000 milliards d'euros, soit 95% de son PIB.

 Une dette qui sert en partie à financer le modèle social français, un bien précieux.

- Ce modèle est au cœur de notre pacte républicain...

- La pauvreté s'étend et s'enracine. Des milliers de personnes ne disposent plus que de 5,60 euros pour vivre...

 - On doit s'endetter pour des soins de santé. C'est aberrant !

- Le gouvernement avance plusieurs pistes pour limiter les dépenses...

- Cette année, notre budget vacances et loisirs pour les enfants sera réduit de 400 euros, soit le supplément d'impôt que nous avons payé avec la modification du coefficient familial.

- Il y a parfois des économies qui font mal, c'est même à cela qu'on les reconnaît.

 - Faut-il en finir avec les allocations familiales identiques quel que soit le revenu ?

- Si on remet en cause leur universalité, vous pourrez remettre en cause demain l'universalité de la branche famille.

- Un appel aux dons a été lancé par les Restos du Cœur de la Creuse... Les demandes continuent d'augmenter et les stocks sont presque vides.

 - On s'inquiète beaucoup car il n'y a presque plus rien.

- Quelques heures après le sinistre, bénévoles et secouristes s'affairent pour aider les

 - L'Etat répondra présent.

 - Plus qu'un impôt, la taxe à 75% est un symbole qui va bientôt disparaître.

 - Cette taxe exceptionnelle n'existera plus dès le 1er janvier

- Faut-il réformer les seuils sociaux qui déclenchent des obligations?

- Recréons avec nos partenaires sociaux un nouveau modèle économique et social beaucoup plus agile, rapide et flexible.

- Manuel Valls juge nécessaire une réforme de l'assurance chômage en France. Il voudrait modifier les conditions d'indemnisation des chômeurs, la durée et le montant des indemnités pourraient être réduits.

 - La question d'efficacité de ce régime se pose à chaque négociation et c'est un débat légitime.

- Il y a suffisamment de sujets pour que nous soyons bien occupés et que nous fassions des réformes utiles à l'emploi.]



 Jacques Attali : C'était typiquement une présentation de ce que j'appelle les résignés réclamant. Il faut sortir de cela.

 La croissance ne viendra pas de plus de relance ou de plus de rigueur, cela viendra de la réduction des inégalités et de permettre à chacun de créer les conditions de produire des richesses. Ce n'est pas simplement le partage d'un gâteau qui se restreint...

 D'abord, il faut se rendre compte qu'une grande partie du bonheur d'aujourd'hui passe par la gratuité. Celle de la musique en est un exemple pionnier...

 Il faut voir ce qui se passe avec l’ÉCONOMIE COLLABORATIVE, c'est une révolution profonde qui nous fait sortir de la pure logique matérielle.

 Et cela crée l'occasion pour chacun de CHANGER DE PARADIGME du XlXe siècle...

 Cela nous fait sortir du débat classique de la social-démocratie et du libéralisme traditionnel.

 L'école doit nous apprendre d'abord à DEVENIR SOI-MÊME à se respecter, à comprendre qu'on est unique, à choisir sa vie...

 C'est très important de comprendre qu'on est seul, pour qu'on découvre qu'on est plus heureux quand on aide les autres.

 Éric Zemmour : J'étais naïf, je croyais que l'école devait apprendre à lire et à écrire !

 Jacques Attali : Apprendre seulement à lire et à écrire, c'est apprendre à être passif et résigné.

 Cynthia Fleury : Sur la question de la SOLIDARITÉ, il y a une manière de la tuer, c'est précisément d'aller à l'encontre de son UNIVERSALITÉ, c'est-à-dire de la rendre de plus en plus conditionnelle.

 A un moment donné, plus vous « conditionnalisez » les raisons de participer a la solidarité, plus vous avez des personnages qui ont envie de faire sécession. Je suis assez d'accord par rapport à cela... Demain, comment transformer l'autre pour avoir un sentiment de partage avec lui, c'est un enjeu...

 Éric Zemmour : Cela n'existe pas,

 Cynthia Fleury : Cela existe, et c'est un grand enjeu.

 Maintenant, sur la question des politiques, je pense qu'ils ont changé de place. Si on attend quelque chose d'eux, on risque d'attendre longtemps car ils sont asservis à l'électoralisme. Cela fonctionne sur ce qui est visible, et tout ce qui est invisible n'existe pas. Résultat, le politique fait du statu quo et du court-termisme, ce qui est inadéquat.

 En revanche, on ne peut rien faire sans les politiques. Ils ne sont plus les pionniers, ils viennent ratifier quand des expériences pilotes sont portées par d'autres. Et ils font une montée en généralité... Mais ils sont à la fin de la boucle de légitimation, pas au début.

 Dernier point, sur l'Amérique... J'aime beaucoup quand on parle du grand capitalisme américain. Je trouve cela ironique à souhait que l'Amérique soit plus protectionniste, fasse marcher la planche à billets comme pas deux... Et aille chercher les sous quand il y a de l'évasion fiscale.

 Éric Zemmour : Ils ont bien raison !

 Cynthia Fleury : On voit très bien que ce qui fonctionne, ce sont les modèles composites, à savoir un Etat fort, mais avec des modalités social-libérales.

 Jacques Attali : Mais ce n'est possible que parce que l'Amérique est une grande nation. On ne pourrait le faire que si nous étions une EUROPE NATION.

 Frédéric Taddeï : François Dubet, vous dites qu'il y a deux types de NOSTALGIE :

 la première, dire que la solidarité était plus facile quand nous étions tous les mêmes,

 et la deuxième, dire que c'était plus facile dans les Trente glorieuses quand il y avait de l'argent...

 François Dubet : Tout cela est assez évident. Devant cette espèce de PANIQUE qui peut s'emparer, il y a une sorte de retour d'une sensibilité maurrassienne, "la terre, la nature, tous pareils, la France éternelle"...

 Je trouve cela assez antipathique mais surtout, c'est une blague, cela ne reviendra pas. Et je crois qu'il y a de l'autre côté un rêve qui est de dire "Un Etat puissant qui régule tout, retrouvons la France colbertiste des années soixante, etc."...

 C'est un peu plus sympathique mais je ne vois pas plus d'avenir de ce côté-là.

 D'ailleurs, vous avez des basculements électoraux qui se font sur ces deux sensibilités. On passe assez facilement de l'une à l'autre. Je concède que les très grandes inégalités viennent de mutations économiques, mais je reste persuadé qu'une grande partie des inégalités, ce sont des inégalités que nous produisons nous-mêmes. Les inégalités urbaines, la ghettoïsation, ce ne sont pas la mondialisation économique... 

Pareil pour l'effondrement de la confiance dans les institutions. Les Français n'ont plus confiance en les institutions et ils n'ont pas non plus confiance en eux-mêmes !

 Il faut se situer à l'intérieur de ces deux extrêmes et imaginer des capacités collectives sociales, politiques, d'innovation...

 Je pense à une chose extrêmement simple: comment voulez-vous que les gens se sentent pas grugés quand 57% de la richesse sont redistribués et que personne n'est capable de dire exactement ce qu'il paye et ce qu'il gagne ? 

Il faut une vision contractuelle de la redistribution sociale ! Il y a de gros chantiers politiques et je ne suis pas désespéré, je crois que nous avons la capacité collective de nous prendre en charge. A condition de poser le problème dans des termes à peu près raisonnables...

 Éric Zemmour : Vous avez demandé à quoi servent les politiques? Aujourd'hui, à rien! Ils n'ont plus le pouvoir. Ils ont été dépouillés du pouvoir, ou plutôt ils se sont eux-mêmes dépouillés du pouvoir qu'ils avaient...

 C'est intéressant historiquement! Et aussi psychologiquement. Aujourd'hui, les politiques français européens ont donné le pouvoir à une oligarchie européenne qui règne au nom du droit et de la norme...

 Philippe Nemo : Qu'est-ce que vous avez contre le DROIT ?

 Éric Zemmour : Rien, quand il protège les individus. Mais quand il empêche les individus d'être protégés, cela devient grave. Là, on est passé dans la deuxième catégorie...

 Je continue à considérer qu'en France,

 nous ne sommes pas des INDIVIDUS hors sol et que le but de l'existence, ce n'est pas de réussir soi,

 on est dépendant du passé, de l'histoire de nos pays respectifs, et cela existera même dans l'avenir..

 En France, on a été forgé par l'Etat, et sans notre Etat, on est perdu. J'ai relu "Le mal français" d'Alain Peyrefitte. 

Il raconte une discussion entre Georges Pompidou et lui. Alain Peyrefitte est déjà un MODERNE, il dit qu'il faut alléger l'Etat, laisser les individus, etc... Il cite le modèle anglo-saxon, dès 1970! Et Pompidou lui répond: "Non, la société est en train d'exploser, il ne restera que l'Etat, on va vers la destruction du pays. Quand vous êtes malade, le médecin ne vous dit pas qu'il faut changer de corps, il essaie de soigner d'abord la maladie".

 Clémentine Autain : Je pense que la solution au problème... Les gens sont un peu perdus, il y a tellement de crises! Il y a quelque chose qui s'abat sur nous avec le sentiment qu'on n'a pas la main. Je comprends qu'il puisse y avoir dans ce cadre-là une tentation vers le repli sur l'ancien. C'est l'inversion, on revient quasiment à la monarchie, à l'ordre, on remet en cause toutes les avancées, le droit au divorce, pourquoi pas l'avortement...

 Philippe Nemo : Le droit au divorce, c'est une avancée vers quoi ?

 Clémentine Autain : Monsieur Zemmour estime que le droit au divorce est une calamité...

 Éric Zemmour : Vous ne m'avez pas lu, comme d'habitude, vous parlez sans savoir...

 Clémentine Autain : Je vous ai lu et cela m'a fait beaucoup de peine de lire autant d'homophobie, de xénophobie, la réhabilitation de Pétain, cela fait beaucoup pour une même journée! 

Le projet est de revenir en arrière et certainement pas de regarder devant !




LA RENAISSANCE Réduite à une ALTERNATIVE
PASSE ou FUTUR
sans Dialectique ni Paradoxe



 Éric Zemmour : Prenez la Renaissance, elle faisait l'apologie de l'Antiquité, c'était une formidable marche en avant...

 Jacques Attali : C'est une erreur historique énorme! La Renaissance fait l'apologie du nouveau, de la raison, de l'utilisation de la raison et en passant, de l'utilisation d'Aristote...

            La RENAISSANCE n'est pas une nostalgie !

 Clémentine Autain : Au-delà, je pense qu'il y a dans l'air du temps une tentation du repli national, sur ce que l'on connaît. Et à gauche, je sens aussi la tentation d'imaginer que les que les recettes des années 70 peuvent être plaquées sur le monde contemporain. J'entends parler de croissance, de recette néo-keynésienne...

 Il faut sortir du paradigme de la croissance. Mais le préalable, c'est la question démocratique. Quand vous êtes arrivé à un niveau de défiance, de dégoût à l'égard du monde politique, je ne vois pas comment on s'en sort sans un nouvel élan, sans remettre à plat les règles du jeu, sans redéfinir le fonctionnement constitutionnel de la République, du Parlement, etc. C'est le préalable pour relancer une perspective commune, donc une solidarité nouvelle, donc une capacité politique nouvelle. Il ne faut pas attendre les politiques, il faut faire de la politique, ce n'est pas la même chose. Faire de la politique, cela se fait aussi dans le mouvement social tous les jours, dans l'économie collaborative...

 Même si c'est un peu circulaire... Il y a beaucoup de systèmes qui se développent mais qui aujourd'hui ne font pas cause commune. Ces initiatives alternatives ne sont pas un projet qui permet à tout le monde se projeter. Pour que ces expériences deviennent un paradigme commun, alors il faut faire force sociale et politique, sur le terrain des idées également, il faut que quelque chose se mette en mouvement pour bousculer positivement la société. Je ne parle pas des gens, moi je parle du peuple.

 Il se constitue sur la base d'une espérance. La conscience et la mobilisation viennent de la capacité à dégager une espérance et c'est ce travail-là qui est devant nous. Je ne suis pas pessimiste mais je suis très inquiète de la montée de l'extrême droite et des solutions de repli, de ce que les gouvernements successifs nourrissent. Qu'une gauche mène une politique de droite, pour les repères, c'est catastrophique! Mais il y a dans ce moment la possibilité d'un rebond, dès lors que le grand nombre se décide à faire de la politique au sens fort du terme.

 Éric Zemmour : C'est bien de parler du peuple, mais il faudrait d'abord comprendre pourquoi il vous dédaigne à ce point. Vous donnez des leçons de morale, mais pourquoi le peuple vous méprise à ce point? Il ne vote pas pour vous, il ignore complètement vos candidats...

 Clémentine Autain : Je ne partage pas ce...

 Éric Zemmour : Les chiffres..


 Cynthia Fleury : Vous dites cela mais le peuple ne vote pas, le plus grand parti de France, ce sont les abstentionnistes !

Jacques Attali : Sur la question de savoir quelle est la place du politique aujourd'hui, il faut acter le fait que nous avons la chance ou le malheur de vivre dans cette période. Nous ne sommes pas dans la France de Pompidou ou de Mitterrand, où l'Etat avait une vraie puissance, où il a fait des choses.


L'Etat s'est défait, car une dialectique tragique s'est nouée entre le marché qui est devenu mondial et la démocratie qui est restée locale.


Dans ce cas, la démocratie locale est battue d'avance. Dans quelques années, il y aura un Etat européen qui sera extrêmement puissant... Sans doute sur le modèle des Etats qui marchent le mieux, qui sont les Etats d'Europe du Nord, qui jouent un rôle très important.

Mais dans la période actuelle, notre rôle, c'est de créer les conditions de cela. Pour cela, il faut faire naître une société nouvelle.

Nous sommes un peu comme ces Flamands on ces Italiens du XVe siècle qui ont fait exploser le monde féodal en créant la démocratie et l'économie de marché. Ils l'ont fait par leurs actions individuelles, par les intellectuels, par les inventeurs, par les marchands...


Il n'y avait pas d'aéroports à l'époque, mais il y avait des ports ! La France aurait été une immense puissance si elle avait mis sa capitale dans un...


Éric Zemmour : Si la France avait été l' Angleterre ! C'est toujours la même chose, Monsieur Attali...


Jacques Attali : Si la France avait choisi de devenir la deuxième puissance maritime du monde, mais elle va le devenir...


Le porteur de l'histoire, ce n'est pas le politique, c'est l'innovateur social, l'entrepreneur, celui qui pense, qui avance, qui crée des œuvres d'art...


On a la chance de vivre à cette époque, faisons-le !


Les politiques s'agitent comme des marionnettes, ils essaient de faire plus ou moins respecter la vie politique et la démocratie, mais ils ne sont pas importants. L'important, c'est ce qui se passe ailleurs. -

F. Tadde' l' :Philippe Nemo ? Il reste dix minutes...
Philippe Nemo : Cela me suffira ! Il s'agirait de savoir ce que sont les féodalités d'aujourd'hui. Je suis d'accord avec votre discours sur la renaissance, sur l'innovation passant par des initiatives individuelles. D'ailleurs, cela ne veut pas dire absence de coopération !

                              CHRISTOPHE COLOMB


est parti mais avec une équipe...

Le sujet, c'était la République, et sa devise: liberté égalité fraternité...
J'espère que vous ne considérez pas qu'on a traité le problème de la liberté, on n'en a pas dit un mot !
Nous avons ce mot dans notre devise et aucun homme politique ne parle plus de liberté, depuis très longtemps !
On parle toujours de restreindre les libertés, d'empêcher les gens de fumer, de manger comme cela..

Éric Zemmour : Et même de penser !


Philippe Nemo : Je pense que la richesse des nations, le projet scientifique, la CULTURE, se fondent sur des individus LIBRES et ORIGINAUX.


Or, il n'y a pas de liberté sans propriété privée et et sans liberté contractuelle. Dans une société qui prend 57% de la richesse aux gens sous forme de prélèvements obligatoires, les gens ne peuvent pas être libres.

Vous avez tout de même contribué pendant trente ans à un Etat qui n'a cessé d'enlever aux gens les moyens de se libérer par eux-mêmes! Il y a aussi la fraternité dans notre devise...
C'est difficile de la défendre quand on commence par ficher en l'air le CHRISTIANISME pendant des siècles !
Prêcher l'amour du prochain dans tous les serments, cela devait faire quelque chose pour la sensibilité aux souffrances d'autrui !

Jacques Attali : Au cas où vous l'ayez oublié, on trouve cela dans le Lévitique... Ce n'est pas le propre du christianisme !


Philippe Nemo : Il y a une fraternité entre l'ANCIEN et le NOUVEAU TESTAMENT, j'en suis bien conscient mais on n'en parle plus du tout avec le laïcisme agressif.


On a remplacé cela par la solidarité et c'est un extraordinaire dévoiement... La solidarité existe dans la NATURE HUMAINE.

Les hommes ont toujours vécu en groupe, aucun homme ne peut vivre seul. Quand il arrive un malheur à un homme ou à des hommes, une inondation, un tsunami, un tremblement de terre, la solidarité veut que les gens qui en ont les moyens viennent au secours de ceux qui souffrent, sans barguigner. Mais la solidarité concerne des situations exceptionnelles, donc... Ou des situations provisoires. Et elle implique aussi la réciprocité: s'il y a un tremblement de terre en France, peut-être que les Japonais viendront nous aider à déblayer les débris...

La gauche en France a introduit cette idée de solidarité dans un sens complètement dévoyé. Avec l'idée qu'en permanence, vous avez des gens qui doivent recevoir des dons, de l'argent donné par des gens qui vont être volés en permanence.

François Dubet : Ce ne sont pas toujours les mêmes qui donnent et qui reçoivent !


Philippe Nemo : La France s'appauvrit parce que l'économie est bloquée. Et pourquoi est-elle bloquée ? Parce que personne ne peut investir, quoi qu'il gagne, l'Etat en prend la moitié et tous les règlements du droit social dévoyé rendent les choses compliquées. C'est bien connu !

Clémentine Autain : Il y a quelques semaines, vous auriez sûrement cité l'Allemagne en exemple mais cette semaine, cela ne tombe pas très ...

Philippe Nemo : Tout est bloqué avec ce criminel ISF ! Je connais des gens qui ont le malheur d'avoir un appartement à Paris dont la valeur a augmenté, qui sont cadres moyens, l'Etat leur prend 7 mois de salaire! Ils sont obligés de manger leur capital et ils ne peuvent donc plus investir. Voilà pourquoi tout est bloqué...


Clémentine Autain : Mais vous savez qu'il y en a qui n'ont pas de capital, qui ne peuvent pas se loger et qui n'ont pas pour préoccupation unique de faire une plus-value sur la revente de leur appartement parisien...


Philippe Nemo : Mais il y a une désespérance des riches ! Cela semble paradoxal...

Evidemment que Ies plus désespérés sont les pauvres mais les pauvres ne peuvent s'enrichir que si la vie marche, si les affaires se font...

François Dubet : La société française s'est enrichie considérablement au début du XXe siècle. Les inégalités se sont réduites considérablement.

Quant au thème liberté, égalité, fraternité, ce sont des termes conjoints car les uns impliquent les autres. Mais en même temps, ils sont contradictoires.
Si nous ne jouons que la liberté, nous n'aurons ni égalité, ni fraternité. Et vice versa... Il faut bien qu'on pense de manière un peu plus subtile l'articulation des principes que nous avons connus.

Éric Zemmour : Si on prend cette discussion, je suis très frappé car ce n'est plus du tout respecté. On ne parle jamais de la liberté de pensée, par exemple...


Là, on a essayé de discuter librement, parfois de façon brutale, mais on peut dire les choses librement. Il y a de plus en plus de difficultés à penser librement en France.

On est corsetés par des donneurs de leçons de morale professionnels qui passent leur temps à dire qu'il ne faut pas dire ou penser cela...

L'égalité, c'est très bizarre, il y en a de moins en moins et on souffre d'un égalitarisme forcené... Il y a une indifférenciation qui va jusqu'à l'indifférenciation sexuelle, qui est une pure folie! Quant à la fraternité...

Il n'y en a plus du tout !
Au contraire, on a transformé la France en une espèce de no man's land, c'est la guerre du tous contre tous !

Clémentine Autain : Je pense que cette guerre, c'est tout simplement le manque d'égalité !

Je pense à la phrase de Victor Hugo, dans "1793": "J'ai dit égalité, je n'ai pas dit identique". Je ne veux pas une société dans laquelle tout le monde serait identique à l'autre. Pour interagir, il faut qu'il y ait je, nous, et donc l'autre.

Cynthia Fleury : Sur la solidarité et la désespérance des riches, la solidarité est née effectivement avec la Ille République.

Quand la solidarité était l'affaire des riches, cela s'appelait la philanthropie patronale. Ensuite, on a créé le modèle social français, c'est-à-dire pas d'Etat de droit sans Etat social.
C'est la grandeur de la France d'avoir permis cela. Sur la question de la propriété privée, aujourd'hui, ce n'est plus la question...

             Je pense à LOCKE, le penseur de la propriété privée...

         Il expliquait qu'on pouvait étancher sa soif s'il restait de l'eau pour quelqu'un d'autre...
Il y a donc nécessairement de l'eau inappropriable.
La question aujourd'hui, ce n'est pas la dévastation de la propriété privée, c'est précisément que l'inappropriable préserve la propriété des autres.

Jacques Attali : La liberté contredit l'égalité, l'égalité contredit la liberté, elles sont rendues compatibles par la fraternité.

J'aimerais que ces trois mots permettent à chacun de faire de sa vie une œuvre d'art.

Frédéric Taddeï : Merci à vous tous d'avoir participé à cette émission. On se quitte en musique avec


Arthur H, 


qui nous interprète "L'Autre côté de la Lune"...


- Juste devant moi, pas à côté, au Sud du Nord, au Nord du Sud. Je la poursuivais sans me douter qu'elle m'attendait on the dark side of the moon... On the dark side of the moon... J'ai dû m'écarter des chemins tracés, au Sud du Nord, au Nord du Sud. J'avoue, j'ai eu peur quand je suis passé de l'autre côté, on the dark side of the moon... On the dark side Comment aurais-je pu m'apercevoir qu'elle m'attendait sur la face cachée? Comment aurais-je pu deviner qu'elle m'attendait on the dark side of the moon? On the dark side of the moon. On the dark side of the moon... On the dark side of the moon... (...)

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