mardi 28 octobre 2014

Aura-t-on enfin la peau du père noël ou du « devenir tous artistes » auxquels la modernité nous condamne ?


Peu après la crise financière de 2008, on avait pu dire que la bulle spéculative de l’art contemporain n’y résisterait pas.




L’artiste aurait pu donc continuer à se distancer du mode de production capitaliste et même le dénoncer, mais sans continuer à lui-même en profiter démesurément en contribuant et en s’asservissant ainsi à son développement.


Occasion illusoire si l’on en croit par exemple cette estimation d’Artprice précisant que depuis dix ans le marché de l’art n’a pas cessé sa vertigineuse progression pour atteindre ce chiffre impressionnant de 1 000 %.



 On ne s’étonnera donc d’abord pas trop après le scandale si bien orchestré de l’exposition Jeff Koons à Versailles, en 2008, qui aurait pu être le chant du cygne, qu’aujourd’hui on puisse assister à un nouveau scandale ou spectacle, place Vendôme.


Mais là.. nous dit-on encore il s’agirait bien cette fois ci d’un « tournant historique », sinon d’une révolution, comme le constate ou l’espère un journaliste de Marianne très en verve, Eric Conan dans l'article du Dimanche 26 octobre 2014 intitulé : Le "plug anal" de McCarthy place Vendôme : un accident industriel ?  


Dans notre affaire, si l’on ne s’en tient pas qu’à l’arbre ou au « toy » qui cache la forêt ou le « sexe » de l’art, il s’agit bien du « Nom du Père » Noël comme « Chocolate Factory »...

 Chocolate Factory pour citer et ne pas oublier de questionner le titre même de l'installation du dit Paul Mc Carthy invité à transposer sa folle fabrique, déjà expérimenté en 2007 à la galerie Maccarone de New York, dans la flamboyante Salle baroque Guillaume Dupré de la Monnaie de Paris à l'occasion de sa réouverture, tout en fanfare, en tant qu'espace d'exposition artistique.







Qu'entendre donc par "Chocolate" ? 


D'abord un premier oubli lié à notre "fabrique occidentale" (Pierre Legendre) du SIGNE ou de la valeur étalon OR (Gold Standard) comme équivalent général ou "Phallus flottant" par l'effacement de l'efficacité symbolique du sacré. 


Un gain de pouvoir technique : l'essence de la modernité gagnée par le vol prométhéen de cette matière alimentaire, arrachée au Nouveau Monde, pour devenir le signifiant désacralisé d'une consommation de masse. 


Alors que sous forme de boisson, elle servait autant de monnaie d'échange que de symbolisation rituelle du sang humain


Dans l’article en question on ne voit plutôt que l’arbre déjà abattu de l’ « accident industriel » dont il devient le totem auquel l’un des grands sorciers ou critique officiel de l’art contemporain ne croirait plus lui-même. A savoir Philippe Dagen, cumulant les titres de Professeur d’histoire de l’art à la Sorbonne et de chroniqueur au Monde depuis 1985.

Son désaveu, adressé aux organisateurs de la Fiac et au comité des marchands de Vendôme pour avoir choisi ce spécialiste des « provocations pornographiques et scatologiques », prouverait qu'une telle erreur ou "provocation de trop" serait bien en passe de mettre enfin à nu les ressorts du système économique de l’art contemporain :

une coterie de riches, de critiques et de fonctionnaires de la Culture s’accaparant l’espace public pour décréter « œuvres » des signes qui servent de plus en plus la rente financière et sa défiscalisation massive. Un secteur en plein essor. »


Pour ma part, je doute que ce désaveu qui finirait par rejoindre les craintes de Jean Clair ou la dénonciation de la "précession des simulacres" par le prophète néo platonicien Baudrillard, soit le réel tournant ou réveil historique de l’art, depuis son essor correspondant à celui de la modernité.

Il y a quatre ans, Jean clair, ancien directeur du Musée Picasso, conservateur du patrimoine et nouvellement élu Académicien, pouvait bien déjà partir en guerre "Contre l'art des traders" ou du pouvoir des apparences dont le comble serait de ne même plus prendre le masque de la vérité ou de son voilement (Le Monde, 2010.04.10).

"Jeff Koons est devenu l'artiste le plus cher du monde. La mutation s'est faite à l'occasion des transformations d'un marché de l'art qui (...) est aujourd'hui un mécanisme de haute spéculation financière entre deux ou trois galeries, une maison de ventes et un petit public de nouveaux riches. Koons ne se présente plus échevelé comme les romantiques, moins encore nu et ensanglanté comme les avant-gardistes des années 1970, mais comme un trader, attaché-case à la main et rasé de frais".


L'article, quant à lui échevelé d'Eric Conan, ne fait que prolonger ce soupçon que l'apparence n'ait rien d'autre à cacher que son propre vide maintenant exhibé et  revendiqué, mais il formule à l'occasion ce paradoxe clef, qui à mon sens n’est rien de moins que celui au fondement  même de l’individu contemporain :

« l’artiste est en fait plus créé qu’il ne crée. »



Néanmoins ce paradoxe n'est malheureusement pas creusé.. parce que plutôt que de questionner patiemment ses présupposés,  il se limite à évoquer le système bien connu qui le manifeste ou l’entretien : l’association des fonctionnaires de la culture, des commissaires d’exposition, de l’Etat et du mécénat privé, des marchands et des collectionneurs qui font la valeur de l’œuvre en désignant ou faisant par là même l’artiste.


Comme s’il suffisait que la mèche soit vendue par ce vrai-faux naïf de Koons pour que puisse enfin s'ouvrir à nous le chemin vers la vérité ou la beauté, en tant que justice ou Bien souverain... 





« Comme toutes les impostures en bande organisée, cet art d’initiés additionne les risques. D’abord ceux que représentent les grands enfants que sont ces nouveaux artistes.
Ils peuvent vendre la mèche comme l’avait fait un jour Jeff Koons : « Mon œuvre n’a aucune valeur esthétique… Le marché est le meilleur critique ! »




Ne faut-il pas garder soi-même une part d’enfance en pensant qu’il suffit de révéler aux « non-initiés » qu’il n’y a pas d’initiation ou pas d’autres secrets au fondement de la valeur que celle de l’institution pour que le prestige ou le pouvoir des faux semblants finissent par tomber.

 Que « l’acte artistique ne réside plus dans la fabrication de l’objet, mais dans sa conception, dans les discours qui l’accompagnent, les réactions qu’il suscite » comme le répète la sociologue française Nathalie Heinich, après les célèbres philosophes américains Nelson Goodman (1908-1998) ou Arthur Danto (1924-2013) ne change rien à la force de cet effet de langage dont les sophistes avaient depuis la naissance même de la philosophie ou de la démocratie pris la mesure, sinon la démesure, pour l’utiliser à leur propre compte et nouvel intérêt privé.

Ce qu’il faudrait ce n’est pas dénoncer la force du simulacre mais interroger le régime de leur précession depuis la révolution de la modernité, qui ne fait depuis qu’organiser la guerre ou la concurrence entre ces idoles qui ne vivent précisément que de cette évolution ou adaptation darwinienne.

Dommage que ce titre éloquent "l'accident industriel" se réduit à ironiser sur le "pas" arrière de Philippe d'Agen qui serait un tournant historique.. alors que c’est précisément de ses propres effets de distanciation ou d’ironie que se nourrit précisément l’histoire de l’art ou du nihilisme moderne.

Ainsi Philippe Dagen dans "Les nouveaux mécènes de l'art contemporain, Le Monde du 22.10.2014 

 " McCarthy étant renommé pour ses provocations pornographiques et scatologiques. L’une de ses pièces les plus connues est sa sculptureTrain, Pig Island (2007). Quiconque a visité la vénitienne Punta della Dogana quand la Fondation Pinault y a inauguré ses salles en 2009 connaît Train, Pig Island, file de figures masculines grotesques, mutilées, hydrocéphales, chacune occupée à sodomiser avec une bouteille celle qui la précède. La présence de ce groupe monumental avait alors surpris, d’autant que Fucking Hell, de Jake et Dinos Chapman, se trouvait à proximité des dioramas, eux aussi démesurés, détaillant d’épouvantables scènes de supplices sexuelles..."

L'art comme l’histoire ou l’industrie capitaliste de l’accumulation de la valeur ou des signes, ne vit-il pas précisément de ses propres accidents ou crises ?

N’est-ce pas comme cela que peut, par essence et paradoxalement, s’organiser à la fois la surproduction et la pénurie, la richesse et la pauvreté, la paix et la guerre, sinon le manque ou le désir.. jusqu'à l'épuisement ?


Avec Paul McCarthy, exposé pour la réouverture de la Monnaie de Paris jusqu’au 4 janvier 2015… cette variation ou prolifération industrielle, plutôt qu'artisanale de ces nouvelles images (de) "machines célibataires" n’est certes pas une révolte crédible de l'individu contre le marché, et son illusoire esprit populaire de Noël…


Pour le marché comme pour le père noël, ce  n’est pas parce que nous n’y croyons plus ou n’y avons jamais cru que nous y jouons plus bien au contraire…  

Après l’avènement de la modernité, à la Renaissance, le Baroque a bien pu déjà jouer le spectacle contre le spectacle.. et sa naïveté, peut-être alors vraie innocence, c’était de croire à la possibilité d’un hors cadre par-delà cette mise en abîme.


La naïveté moderne de montrer les coulisses du spectacle n’a plus rien de « vrai » ou d’ « innocence ».. c’est  juste continuer le spectacle ou en faire partie par tous les moyens possibles..


Quand le monde comme le théâtre se démultiplie, devenir le théâtre du théâtre, en tant que galerie, c’est se faire une place comme « contre espace » dans un multivers de contre-espaces qui sont autant de lieux de productions et de contre productions de valeurs et de rôles possibles…



Et cette démultiplication croissante de bulles-miroirs ou mondes… dans l’abandon toujours plus grand d’un espace stable d’échange ou de communauté possible…

n’est-ce pas là cette perte ou cette nostalgie qui donne l’un des sens possible du Noël moderne avec son simulacre du don et du père fondateur ?



N’est-ce pas cela la vrai-fausse innocence ou révélation des « grands enfants », sinon des « artistes » dans la peau ou les simulacres desquels nous sommes condamnés à ne pas cesser de renaître en tant qu’individu moderne ?

Site de l'exposition : 

http://art.monnaiedeparis.fr/fr/expositions/chocolate-factory


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